« La plupart commencent sur le trottoir avec quelques cartons puis viennent installer ici un stand. S'ils réussissent ils ouvriront ensuite un magasin dans un des centres commerciaux de la ville.
Alors c'est une école de commerce à ciel ouvert ?
Tu sais beaucoup de gens ici on un diplôme universitaire. Mais après ? Il faut gagner sa vie, faire quelque chose. Alors ils montent un petit business.
Je donne souvent des interviews, j'essaie d'être honnête, mais finalement les journalistes m'utilisent pour montrer une face noire de ce lieu. Or, c'est un lieu nécessaire, un marché pour les pauvres. Un lieu où des gens travaillent pour joindre les deux bouts. Évidemment, je préférerais que, comme en France, les retraités ne soient pas obligés de travailler pour vivre. Mais voilà, ici au moins ils parviennent à gagner ce qui leur manque. »
Le marché existe depuis une dizaine d'année et depuis, il grossit. Il s'est agrandi sur le parking mitoyen puis une autre partie s'est ouverte un bloc plus loin.
Les vendeurs, qui viennent pour l'essentiel de Chisinau et des environs paient ici un loyer, Ion lui, se charge de la sécurité et de l'administration. « on paient les équipes de nettoyage, etc. » Les gens ici ne s'organisent pas seuls il n'y a pas d'équipement communs et concertés. Les vélums qui couvrent les allées sont installés par chacun devant son échoppe. Les vendeurs installent eux-mêmes leur structures, stand préfabriquées, et même remises constituées de containers empilés qu'ils récupèrent à l'occasion je ne sais où.
Transnistrie encore, on en parle au sujet des vendeurs ou de la marchandise.
Nous faisons le tour et nous arrêtons devant un bâche sérigraphiée sur laquelle s'étale le nouveau projet de marché. Les murs en tôles bleue commencent d'ailleurs à envelopper la place. Ils masqueront et remplaceront bientôt le paysage de bâches de containers et de structures métalliques qu'offre aujourd'hui le marché.
Autour, les candidats à l'établissement d'une échoppe plus pérenne, se pressent sur le trottoir et à cette heure, remballent, selon leur niveau d'aisance, leurs cartons posés au sol, leurs étals sur tréteaux ou ferment la devanture de leur caravanes. La qualité de leur installation peut se lire comme un pas de plus franchi vers l'enceinte du marché et pourquoi pas, quelques années plus tard, vers un des flambants centre commerciaux de la capitale.
Ici l'espace évolue en même temps que ces usagers c'est un espace progressif. Un espace qui à mesure, et sans cesser de fonctionner, évolue, se fixe, se sédentarise, se solidifie puis se pétrifie ; passant du carton à même le sol à l'étal, au stands et containers pour finir en hall couverte. Cette mutation semble organique mais des acteurs gèrent cet espace plus transit que transitoire.
La dimension réputée informelle reste à vérifier. Et Ion, notre interlocuteur, est appelé par d'autres affaires avant de pouvoir nous dire ce qu'Informel lui évoque.
La vue se trouble. Nora comme moi sommes étonnés d'apprendre que les caravanes rutilantes posée non loin avec leur parois imprimées de marques ne sont pas les émissaires de chaînes de distribution nationale mais bien les premières installations de commerces familiaux qui peu à peu ont, d'ici, « coloniser » le centre ville. La caravane, le léger, le mobile dans ce pays le plus pauvre du continent, comme un retour à l'essentiel de l'économie : le marché sans le marché.