Le plus grand aquarium de Russie ressemble davantage à une animalerie qu'à un méga centre aquatique. À la sortie une berline blanche. Adossé à un palmier, coupe à la brosse, pantalon blanc, chemise assortie ouverte sur un ventre rebondi il marmonne « taxi ? - oui ! centre ville - C'est loin ! Plus de soixante kilomètres !». l'agglomération de Sotchi s'étale sur 165 kilomètres.
Il est « Grec de Russie »
Marié à une Arménienne de Russie, sa géographie familiale démontre à quel point la Mer Noire unit plus qu'elle ne divise ses peuples riverains. Il rit en s'engageant sur l'avenue « quand on est sur l'avenue Lénine on est toujours dans la bonne direction ! ». De l'autoroute fraîchement étalée pour les jeux olympiques d'hiver, les yeux glissent à droite sur la chaîne de montagne du Caucase, à gauche sur la Mer Noire sur laquelle un destroyer de la marine militaire russe fait les cents pas. Minuscule vaisseau géostratégique qui tisse la trame militaire de la Mer Noire jusqu'à Sébastopol au moins, ignorant les autres Grecs, Juifs, Ukrainiens et Arméniens qui en d'autres temps y formèrent les bataillons de la Makhnovtchina.
Pour notre chauffeur la Bataille est ailleurs. Depuis la fin des Jeux Olympiques le business s'est effondré. Il parle avec nostalgie de ses containers remplis et des millions de roubles assortis. Aujourd'hui, il fait chauffeur, taxi clandestin, pour payer les études, les appartements et les installations de ses deux fils qui viennent de finir leurs études de stomatologie et d'optique.
L'avenue Lénine est bouchée et malgré ses dépassement par la droite, l'utilisation des arrêts de bus comme raccourcis, rien n'y fait « et encore c'était pire avant les jeux olympiques ! Il n'y avait qu'une seule route. On mettait des fois 4 heures pour traverser la ville ! » Il déboîte. Prend une perpendiculaire en direction de la plage puis file à gauche sur une rue parallèle à l'avenue Lénine. Sans trottoir, la rue tient davantage de la ruelle de village bordée de palmiers, fougères géantes, acacias et plantes tropicales. À l'ombre, sur des chaises, ça papote devant les portails, ça joue aux cartes.
Alors que dans les années 90 les rues de Moscou se couvraient de banques et de kiosques, la fraîche privatisation de l'habitat incitait ici les propriétaires à rentabiliser le foncier de cette "Riviera russe". Les maisons ont poussé en Kamikase-loggias pour accueillir davantage de touristes, hors des sanatoriums officiels, dans ce nouveau marché locatif privé. Résolument non planifié le tissu se densifie, se complexifie aussi. Les parcelles pleines se traversent par des ruelles, des porches et des tunnels. L'ensemble prend des airs forains et la croissance des bâtiments rivalise avec celle de végétation subtropicale.