Youri Latov, économiste russe, distingue, dans l'économie de l'ombre, trois parties :
- « secondaire » : l'activité qui se fait par des acteurs de l'économie officielle mais qui est en même temps interdite par le pouvoir (la corruption, le non-paiement des impôts, etc.)
- « grise » ou « informelle » : l'activité qui est autorisée mais non enregistrable (la production informelle de l'industrie légère, alimentaire, etc.)
- « noire » ou « criminelle » : l'activité interdite qui se fait par des criminels professionnels (production de stupéfiants, assassinat, prostitution, etc.)
Les « Nouveaux temps » donnent au marché noir l'occasion de se développer. L'économie informelle devient alors égale à l'économie officielle et la surpasse même. Très présent dans tous les pays bélligérants des conflits mondiaux, le secteur informel a, pendant la guerre civile de 1918-1922, non seulement réuni autour de lui tous les autres secteurs de l'économie de l'ombre, mais a aussi formé l'opposition politique et militaire anarchiste : la « Makhnovia ».
La Makhnovtchina avait pour base la région la plus marchande du pays : Goulaï-Polié. La ville avait alors besoin de plus de produits alimentaires que la campagne n'avait besoin de produits de consommation. L'espace rural s'en trouvait avantagé. Et comme les pouvoirs armés rouges (bolcheviks) et blancs (austro-hongrois) pratiquaient des réquisitions systématiques de produits divers, la population rurale leur préféra l'absence de pouvoir, c'est-à-dire, l'anarchie. Makhno tenta alors d'assurer un système d'échange direct des produits, sans structures étatiques. Ce modèle, très attractif pour des paysans, ne fut cependant pas viable à long terme.
Selon Shoubin A., (Makhno et le mouvement de Mahno, MIK, 1998.) les réunions de paysans ont adopté une résolution de soutien à Makhno : « Ce n'est que Makhno et son armée qui peuvent établir la vraie vie juste et éliminer les ennemis des paysans ; c'est pourquoi tous les paysans honnêtes doivent s'engager dans l'armée de Makhno, y envoyer leurs fils, et fournir alimentation, chevaux et tout ce qui est nécessaire aux insurgés courageux ».
En revanche, Makhno lui-même définissait son attitude envers le pouvoir d'une autre manière : « Nous sommes le commandement militaire, notre cause est de battre des cadets, tandis que c'est à vous de créer le pouvoir civil si vous ne pouvez pas vous en passer ». Il proposait aux travailleurs d'adopter un régime d'autogestion et d'autofinancement complet. En contrepartie, ils devaient servir l'armée pour un salaire modéré.
La situation des travailleurs de la région de Goulaï-Polié était difficile. Les seuls secteurs concurrentiels de la production étaient l'alimentation et les briquets. Pour la plupart, les deux à trois milles travailleurs des quartier vivaient de potagers et de petit commerce. La zone ouvrière se transformait en foyer de criminalité.
Contrairement aux travailleurs de l'industrie lourde qui ne pouvaient maintenir ou augmenter leur production en raison du manque de matières premières et de débouchés (les uns et les autres étant coupés par le front), les cordonniers, les travailleurs du secteur alimentaire, du cuir et d'autres travailleurs de petites productions orientées directement vers le consommateur se sont très vite inscrits dans « le socialisme de marché » proposé par Makhno. Dans ces branches, le chômage diminua jusqu'à disparaître dans le secteur du cuir, car les échelles de socialisation des biens de production augmentaient. De même l'industrie alimentaire passa intégralement aux mains des travailleurs. Cependant, le secteur privé de production continua d'exister. Ainsi, même à Goulaï-Polé, l'ancienne administration de l'usine continuait de fonctionner en négociation avec le syndicat. Le travail était payé par le blé du moulin voisin avec lequel le syndicat avait établi des relations.
La prospérité marchande de l'industrie légère a provoqué la critique de Makhnovtchina par les idéologues « niveleurs ». Ainsi, le journal « Povstanetz » (« L'insurgé ») publiait dans un article anonyme : « A vrai dire, ce sont les cordonniers qui vivent le mieux – ils ne se soucient pas de la cherté de la vie. La moindre augmentation des prix du marché est répercutée sur le client ».
L'ajustement du marché financier devenait nécessaire. Tant que les mécanismes distributifs d'avenir n'étaient pas fixés il fallait vivre dans des conditions de relations argent/produit/marchand.