Cette stratégie a pu être formulée dans des groupes minoritaires à des époques antérieures, par exemple par les compagnons du Tour de France. L'itinérance s'accompagne d'une critique de la division du travail et d'une valorisation de la transmission, de l'imitation. Ainsi dans ce texte collectif, (Les compagnons du devoir, 2006) :
« Le devoir » met en évidence la notion du devoir de transmission. « Il y a dans la transmission, un aspect magique car elle permet de donner et de partager sans se démunir. Sans la transmission, nous serions toujours à l'âge de pierre ».
C'est la transmission du métier et non la division du travail smithienne qui est pensée comme le moteur du progrès. Le compagnonnage est une critique de l'idéologie de la division du travail, et de la hiérarchie afférente, que l'on retrouvera dans le mouvement coopératif. Il implique aussi des formes d'habitats collectifs et temporaires : « Il arrive que des opportunités d'emploi fassent se regrouper quelques itinérants dans une même habitation ; cette structure provisoire est appelée "point de passage" et n'a point de prêvot à sa tête. »
On retrouve ces conceptions dans l'importance accordée aux échanges d'expériences, à la formation, parfois gratuite, des acteurs de ces formes d'habiter ou de travailler.
La valorisation de l'imitation et de la diffusion des pratiques, est un moyen d'assurer des apprentissages en interne (à une coopérative par exemple), pour éviter les stratégies de rétention, et d'assurer des extensions du réseau.
C'est là où une autre comparaison s'esquisse, avec l'économie de la connaissance et de la culture : comme pour le livre, la copie donne de la valeur, voici une citation de Barthes (1979) : « Il y a des liens énigmatiques entre l'écriture et la copie, je le répète, l'acte de copier est une donation de valeur. Il n'y a pas de texte sans filiation. J'écris pour ce que j'ai lu. Il n'y a rien à faire. »
Les acteurs des « hackerspaces » admettent le rapprochement avec l'économie de la culture, y compris comme distinction avec les acteurs des NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication), plus impliqués dans une logique marchande. Ils ajoutent un point de vue plus « technique » : La copie fonctionne aussi comme « procédure de test ». Si un dispositif est copié, c'est le signe de son bon fonctionnement. Cet argument est celui qui a en quelque sorte présidé au développement des logiciels libres sous Linux (système d'exploitation informatique), dès les années 1980. Cependant, Pour Richard Stallman, le droit d'auteur sur les livres est justifié, ce n'est donc pas la qualité culturelle du logiciel qui explique la stratégie du copyleft, mais bien l'argument technique. La libre copie, le don, la coopération non hiérarchique sont de meilleures façons de développer les logiciels que le pur marché ou l'organisation industrielle.
L'innovation y trouve son origine dans des groupes de coopération, la dimension sociale est présente en amont de la diffusion, et non pas, comme dans une relation de service marchand, seulement dans l'exécution du service (Harisson, Boucher, 2011).
Ces principes communs entre l'ESS (économie Sociale et Solidaire), les formes d'habitats non ordinaires et l'économie de la connaissance pourraient expliquer des phénomènes d'hybridation, tels ceux observables dans le développement du co-working. Ces espaces sont des dispositifs pour des travailleurs nomades ou des travailleurs à domicile, ayant besoin de lieux pour échanger des expériences et des pratiques. Ce qui en fait des dispositifs implicites d'aide aux précaires, soutenus par des équipements collectifs publiques ou semi-publiques, conformément à la logique de l'ESS. La dimension « militante » des hackerspaces, les rapproche de formes d'habitat liées à des contestations politiques. Le hackerspace de Rennes est à « l'Elaboratoire », un squat créé par des artistes de rue, qui est aussi un lieu de vie et de réunion. Celui de Rouen se réunit dans les locaux d'Echelle Inconnue, groupe d'artistes activistes, très impliqués autour du logement mobile. Ils sont donc hébergés par des structures ayant des fins culturelles, mais plus éloignées statutairement (il y a des squats) de la norme de l'économie de la culture dans l'état Social classique.
En effet, le copyleft n'est pas un déni du droit de propriété mais une renonciation à l'usage exclusiviste du droit de copie. Sous cet angle, il est davantage une acceptation de droits de propriété incomplets, qu'une vision « socialiste » (Xifaras, 2010). Or, ce qui caractérise la firme coopérative pour ses critiques capitalistes, c'est précisément les droits de propriété incomplets des salariés actionnaires.
Arnaud LE MARCHAND
Maître de conférence en sciences économiques
à l'université du Havre
Compagnons du devoir 2006, Tout savoir sur les compagnons du devoir, Librairie du compagnonnage.
Denis Harrisson et Jacques Boucher, « La co-production du savoir sur l'innovation sociale ». Revue : économie et Solidarités , Volume 41, n o 1-2, 2011, p. 3-8, Xifaras M, « Le copyleft et la théorie de la propriété », Multitudes n°41, printemps 2011.