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MAKHNO-VAN L'ODYSSÉE MÉCANIQUE

Numéro 8


Sa naissance-même est une histoire d'itinérance. Odyssée mécanique, camion Ulysse, forçant, créant ou révélant la porosité des mondes, du squatt de travellers aux enceintes de l'éducation nationale, des projection de terrains vagues aux programmes d'Arte, de la casse automobile aux fournisseurs électriques spécialisés. Bref, forain ! Encore lui faudrait-il parler mais les peuples forains connaissent peu d'Homère.

C'est sur les chaînes de montage des usines Renault que se termine en 1934 l'épopée de celui dont je porte le nom, Makhno. C'est sur les chaînes de montage de l'usine SOVAB (Société des Véhicules Automobiles de Batilly), pour le compte du même groupe que commence la mienne, peu avant ma première mise en circulation le 25 novembre 2003. J'ignore si toutes mes pièces ont été produites dans l'hexagone ou si elles ont fait l'objet d'accords et d'échanges internationaux. Je ne pourrais pas davantage dire d'où provient l'acier, l'aluminium, la fonte ou le plastique dont je suis fait. L'écusson de ma calandre est un losange, Renault ; mon nom ? Master II. Mais fruit de mon époque, j'en ai d'autres que seules différencient les campagnes marketing et l'attachement populaire à certaines marques devenues simples noms : Opel Movano, Vauxhall Movano, Nissan Interstar.
Sorti d'usine, j'ai fait partie d'une escadrille de la livraison pour une chaîne de distribution Darty. C'est à cette entreprise que je dois le bidouillage de ma carte grise. Revendu à un garagiste, j'ai transporté des voitures de courses, formules 3000 sur les circuits de France.
Bref j'étais un camion normal, sorti d'usine presque nationalisé avec de vrais boulots normaux, normés. Ça c'était avant Echelle Inconnue, les ZAD, les squats, les manifs et expulsions, les lycées pro et pour finir les camps, campings et campements où je projette les films conspirés dans mon ventre-même.

Ma période ZADiste

Après m'avoir, choisi et acheté, il fallait à Echelle Inconnue un lieu pour me stocker et faire de moi ce qu'ils voulaient : un cinéma, un atelier. J'ai alors rejoint sous un des hangars de la ferme des Bouillons, exploitation agricole squattée dans la banlieue de Rouen, d'autres camions déjà transformés en habitations. Ici des travellers, en attente de nouveaux départs pour un travail saisonnier ou un festival répare ou aménage leurs véhicules. Autour de moi, les chiens s'égayaient et Echelle Inconnue, visiblement désemparé tentait de me bricoler. Ils envisageaient mes flancs comme des façades. La mauvaise scie sauteuse mordait salement ma tôle pour y percer l'emplacement des fenêtres récupérées sur une caravane abandonnée non loin. La lame encore arrachait ma tôle en meurtrières que combleraient bientôt des vitres hautes de Renault express. De la production standardisée et du commerce de masse, je passais au monde improvisé, clandestin. Autour de moi encore, ça discutait « comment on isole ? », ça apprenait les risques de ponts thermiques engendrés par les vis plantées dans mes longerons. Ici pas vraiment de professionnels mais un apprentissage empirique, l'usage. Ne sachant visiblement faire autrement Echelle Inconnue m'isola avec un système de châssis de décor rempli de laine de roche (on ne quitte pas si facilement le théâtre). Les travellers regardaient circonspects.
Ça parlait électricité aussi. Echelle Inconnue avait déjà rencontré Jean Charles et voulait que ma caisse soit entièrement alimentée en 12 V. Ça ne sera pas le cas. Chez les travellers on ne fait pas comme ça. Reste de culture pavillonnaire ou empreinte de celle du campingcarisme, ici on installe panneaux solaires et batterie et on transforme l'électricité en 220V pour alimenter un circuit domestique sur lequel brancher les appareils.
On m'équipe, me perce, me colle avec des litres de Sikaflex. On pose sur mon toit des panneaux solaires. Je deviens énergétiquement autonome. Ça bricole, ça monte, ça démonte, ça se plante. On passe me voir. Puis, les temps brunissent.

Ma période expulsée

Les procédures d'expulsion de la ZAD étaient depuis longtemps engagées. Mais ça se défendait pas mal face à la famille AUCHAN propriétaire de ces terrains agricoles qu'elle destinait potentiellement à un projet de centre commercial. Ici, travellers et fermiers opposaient un projet de permaculture et centre culturel alternatif. C'est à la faveur de l'été, alors qu'Echelle Inconnue m'avait abandonné pour des vacances, que les forces de l'ordre entrèrent et arraisonnèrent la résistance. Les travellers m'exfiltrèrent. Je servis un temps de char d'assaut, de camion barricade et même de véhicule d'opération spéciale pour déverser les fumiers de la contestation. Dans la ferme, une famille connue pour ses proximités avec l'extrême droite avait pour ainsi dire été installée par AUCHAN. Il fallut près de deux semaines pour qu'Echelle Inconnue retrouve ma trace dans une autre ferme. Dans l'opération, j'avais laissé mes panneaux solaires et mes panneaux d'isolation s'entassaient dans ma caisse. Pour finir, j'étais sans abris.

Ma période sérieuse

Fini, festivals, techno, moutons et chiens qui s'égaient autour de ma carcasse. Et, je le découvre alors, fini aussi le bidouillage. Du sol en terre battue du hangar sombre et agricole, je passe au béton ciré et à la lumière des néons de l'atelier presqu'asceptisé du Lycée Professionnel de Brionne. Entre temps Echelle Inconnue semble avoir compris que je coûte cher et nécessite une attention particulière. Une nouvelle personne, architecte, a fait son apparition dans l'équipe. Elle me prend en charge. Je suis son challenge, son cadeau empoisonné. Ici, une année scolaire durant on doit me terminer, me rendre définitivement forain et, du moins l'espèrent-ils, manifeste. Pour quelques mètres carrés de plus, pour me faire ressembler à une caravane de forain et sans doute pour satisfaire l'égo de celui qui m'esquissa au départ on me rend télescopique. La teneur des discussions change autour de moi on parle de rails télescopiques, de charge, de procédés d'assemblage en menuiserie. Des croquis de coins de feuille, ma conception passe au logiciel de CAO. On me conçoit et fabrique une caisse rétractable qui accueillera un salon atelier et mon écran de projection extérieure, une sorte d'hybride entre le tiroir et le poste de télévision vintage. Élèves menuisiers et professeurs s'activent dans le bruit et la sciure des scies à ruban, raboteuses et autres défonceuses. Chose amusante un des travellers est revenu. Là, ce sont les professeurs qui semblent circonspect devant ses menuiseries peu orthodoxes. Mon extension est équipée de banquettes couvrant rangements et emplacements pour les enceintes extérieures, y sont intégrées différentes connectiques pour permettre projection et branchement des ordinateurs en atelier. La table centrale montée sur vérins s'abaisse au niveau des assises pour ne former qu'un grand lit (on dort aussi chez moi). Camion, logement, atelier, cinéma.
Les classes de tapisserie du Lycée capitonne ma caisse de sky rouge. j'ai une gueule de claque qui fera sourire ou hurler Manouches et travellers mais qui me vaudra peut-être le premier rôle dans le documentaire de David Dufresne sur Pigalle. Mon côté mauvais genre.

Ma période forain

Enfin ça y est, ou presque. Après 4 ans quelques portes ouvertes au lycée, je sors. Je pars projeter sur les marchés, les fêtes foraines. À Gennevilliers, je diffuse sur une aire d'accueil, chez des ferrailleurs, sur des parking de poids lourds. Je me pose, me déplie et les gens souvent arrivent. Belle économie pour les membres d'Echelle Inconnue qui devaient jusque là faire du porte à porte. On m'ajoutera encore une bâche sérigraphiée à mon nom qui protégera mon écran qui risquait d'être dégradé par les intempéries. On projette de m'équiper d'une éolienne, d'un escalier digne de ce nom, d'une cuisine, de grilles de désenlisement. Enfin tout ça, si les nouvelles règles du contrôle techniques ne me désignent pas le chemin de la casse.

Sommaire du numéro 8
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EDITO / JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°8 : CINÉMA MOBILE D'INTERVENTION
DOSSIER MAKHNO-VAN
POUR ECHELLE INCONNUE LE FILM EN QUESTION
MAKHNO-VAN
LE CINÉMA SUR ROUE D'UN PEUPLE SUR ROUE

MAKHNO-VAN L'ODYSSÉE MÉCANIQUE
LE PROJET DE RODTCHENKO
SUR LA ROUTE DU CARNIVAL
NOIRE LA RUBRIQUE
CINÉMA VOYAGEUR
LE RÉAPPRENTISSAGE DU CINÉMA-FORAIN

PEERTUBE
ÉCRAN VOYAGEUR
LA JAVA DE L'INFRASTRUCTURE
BLOUMA

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.