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LE PROJET DE RODTCHENKO

Numéro 8


À L'ORIGINE DU CINÉMA AMBULANT. LE PROJET DE RODTCHENKO "CINÉMA-AUTOMOBILE".

Pour le milieu culturel soviétique, les années 1920 constituent l'époque de nouveaux espoirs, nouveaux rêves et nouveaux projets. Naissent alors plusieurs unions d'artistes d'avant-garde qui mènent des expérimentations sur l'art et le réel. L'une des plus connues est LEF. D'abord méné par les écrivains et les peintres ce sont aussi des cinéastes et des architectes qui collaborent bientôt à cette union. Celle-ci est fondée par les futuristes Asseev, Brik, Tretyakov, Koushner, Arvatov, Tchujak et leur leadeur Vladimir Maïakovski. L'union artistique LEF se présente comme le seul vrai représentant de l'art de la révolution.

Selon les théoriciens de LEF « La vie pratique doit être colorée par l'art ». La peinture ne doit pas rester dans les limites des tableaux, mais devenir « décoration picturale du quotidien ». La littérature doit transformer chaque acte de la parole en oeuvre d'art. L'art se propagera dans le quotidien de telle manière que la différence entre les créateurs et les consommateurs sera réduite à néant. « Les masses se lancent librement et joyeusement dans le processus de création » - espèrent les théoriciens de LEF. Ce sont les « travailleurs » de LEF qui popularisent le terme « la commande sociale ». Ainsi, ils s'opposent à la conception idéaliste d'une volonté autonome de l'artiste et appellent à exécuter la commande sociale du prolétariat.

Les artistes de LEF proclament que l'art doit être rationnel. On crée l'art non pas grâce à l'inspiration, mais à partir de dessins techniques. C'est « l'art industriel », l'art technologique. Cette idée est très proche des autres artistes d'avant-garde : les constructivistes qui doivent leur nom au concept selon lequel l'art doit « construire » le monde des objets et non pas le représenter. En 1923 le leader d'union LEF, Vladimir Maïakovski, crée le journal LEF.

La revue est divisée en 5 sections :
• Programme.
• Théorie.
• Livre.
• Faits.
• Pratique.


« Programme » se compose de 2-3 articles déclaratifs. Les articles les plus importants sont écrits par Maïakovski lui-même. Ce sont les manifestes qui seront développés dans la « Théorie ». La section « Théorie » est la plus importante. On y publie les articles sur les problèmes de littérature et de langage mais aussi sur les questions picturales, cinématographiques et théâtrales. Dans les pages du journal on peut lire la déclaration de Dziga Vertov sur les perspectives de développement de cinéma, l'article de Sergueï Eisenstein « Le montage des attractions » etc. Ce journal devient l'espace de mise au point des concepts de front gauche : dès « l'art-constructeur du quotidien » jusqu'aux débats sur des moyens de « fabrication de l'art ».
La section « Livre » se divise en 3 rubriques : « nous faisons de la publicité », « nous encourageons » et « nous guillotinons ». Dans le premier numéro, l'un des artistes de LEF écrit l'article où il prononce « L'impartialité dans l'évaluation des phénomènes littéraires nous est totalement étrangère ». Les recensions des livres d'histoire de littérature et d'esthétique sont beaucoup plus nombreuses que les recensions sur les livres de fiction.
Dans la section « Faits » on retrouve l'actualité culturelle de l'art « gauche ». On divulgue les interventions des artistes de LEF, les disputes sur l'art « gauche », les nouvelles des groupes de LEF de province, ainsi que l'art « gauche » étranger. La section « Pratique » contient les oeuvres littéraires : les poèmes sont plus nombreux que la prose. On peut voir les textes de Maïakovski, Asseev, Pasternak. On publie aussi des oeuvres des écrivains hors LEF : des récits de Babel, des extraits de romans de Vessely, des pièces et des récits des auteurs étrangers.
Dans cette section étaient non seulement publiées des oeuvres littéraires, mais aussi des photographies de travaux des artistes-constructivistes, des architectes, des représentants des arts appliqués. Parmi ces artistes il y a Alexandre Rodtchenko, sculpteur, photographe, peintre, l'un des théoriciens du constructivisme et le père du design et de la publicité soviétique.

Rodtchenko s'intéresse beaucoup à l'art cinématographique. En 1922, il travaille aux génériques des actualités cinématographiques de Dziga Vertov. Il produit des génériques dessinés avec des éléments de ses compositions, coupe des volumes en carton et en papier. Les génériques sont graphiques, spatiaux ou bien dynamiques. Les génériques dynamiques rentrent plus naturellement dans le tissu du film, captent l'attention en tant qu' attraction spécifique. Il collabore avec le journal Kino-fot où il teste ses capacités d'artiste polygraphe et en réalise quelques couvertures en utilisant le photomontage.

En 1920, Alexandre Rodtchenko fait la connaissance de Vladimir Maïakovski. Ils partagent l'idée que l'affiche est la forme d'art visuel la plus « convenable » pour les concepts révolutionnaires. C'est sur cette idée que se fonde l'union de Rodtchenko et Maïakovski - reklam-konstruktory. Maïakovski obtient des commandes et travaille sur le texte publicitaire, tandis que Rodtchenko produit l'ensemble visuel des affiches. À eux deux, ils créent plus de 100 affiches et étiquettes. Ainsi ce duo jette la base de l'affiche politique constructiviste.

Il convient de noter que Maïakovski n'est pas seulement poète. Il est aussi dramaturge, scénariste, cinéaste, acteur, peintre et, bien sûr, rédacteur en chef du journal LEF. Admirateur du cinéma, il écrit:
« Pour vous cinéma est le spectacle. Pour moi c'est presque la vision du monde. Le cinéma est le conducteur du mouvement. Le cinéma est l'innovateur de la littérature. Le cinéma est le destructeur d'esthétique. Le cinéma est l'intrépidité. Le cinéma est athlète. Le cinéma est la dispersion des idées. »

Dans son processus de création Maïakovski demeure révolutionnaire - pour lui théâtre et cinéma doivent devenir l'espace où l'acteur devient l'auteur et cinéaste. Ainsi, dans le film « Il n'est pas né pour l'argent » de 1918 dont il écrit le scénario et joue le rôle principal.
Ce n'est pas étonnant qu'en 1923 Maïakovski invite Rodtchenko à travailler pour le journal LEF. Alexandre Rodtchenko réalisera toutes les affiches des numéros du journal. Dans le premier numéro parait un article « En production ! » où l'auteur Ossip Brick célèbre Rodtchenko comme artiste-constructiviste : « Rodtchenko sait qu'il n'y a pas de lois de construction similaires, mais que pour chaque problème il faut trouver la solution d'une manière individuelle. Rodtchenko sait qu'en restant dans son atelier on ne peut rien faire, qu'il faut se lancer dans le travail réel, porter ses dons d'organisateur là où ils sont recherchés - dans la production. » Dans ce même article paraîssent « des travaux constructivistes Rodtchenko » : quatre couvertures de livres et « Le projet de kino-automobiles ».
Ce projet illustre deux grands axes de développement de la culture des années 1920. Premièrement, une fascination pour les mécanismes et de l'industrie. Puisque la culture de cette époque aspire à atteindre le Futur, souhaite le réaliser maintenant Futur, on place tous ses espoirs dans le progrès. Maïakovski, par exemple, décrit dans ses poèmes les villes de futur dans lesquelles le quotidien est nourri par l'électricité, chaque appartement est équipé d'un ascenseur qui mène à un dirigeable.

Deuxièmement, on voit bien l'autre principe qui envahit les pensées : le mouvement. La culture des années 1920 est la culture mobile. Les gens « s'arrachent » de la terre : on abandonnent leurs biens et partent au gré du vent. Les architectes commencent à projeter des maisons mobiles qu'on peut arracher de terre, démonter et transporter sur un autre site pour les monter à nouveau. D'autres projets proposent des maisons sur pivot qui tournent en suivant les rayons du soleil et aux pièces transformables. Cette époque est peuplée de « vainqueurs d'espace de mers, d'océans et de terre... Ils sont eux-mêmes et le Dieu, et le Juge, et la Loi. »
Mais l'idée de cinéma mobile apparaît dans l'espace soviétique à partir de 1919. Pendant la Guerre civile (1918-1922) Dziga Vertov fait partie des voyages de agitpoezd. Ces trains, véritables établissements mobiles qui arrivaient dans les villes et villages d'Etat des soviets et donnant la possibilité d'acheter des livres et des journaux, porter plainte contre les pouvoirs régionaux, d'assister à une conférence ou encore de regarder les actualités.
Pendant sa période de travail dans ces trains, Vertov il crée trois films : Bataille à Tzaritzyno (1919), Agitpoezd VTZIK (1921) et L'histoire de la Guerre civile (1922).
Mais les trains restent dépendants de rails. Apparaît aors un autre type de cinéma mobil : cinéma chariot.
Mais dans ce nouveau siècle, qui glorifie la technique et le progrès, le cinéma ne peut pas se déplacer de telle manière.
Rodtchenko propose donc une idée rationnelle sur une base et un terrain propice. Dans l'Etat totalitaire qui s'instaure à cette époque, l'art cinématographique est l'un des instruments préférés de propagande : les pouvoirs ont besoin d'insérer des idées dans l'esprit du peuple qui ne sait pas lire. Et les camions de cinéma mobiles commencent à apparaître sur le territoire d'Etat des soviets.

On dépose dans ces camions des copies de films et le cinéma ambulant part à destination de kolkhozes, communes et villages. Le cinéma est conçu par les pouvoirs comme « le levier culturel de rééducation des masses ». Les provinces étaient peu équipées en salles de cinéma : dans les années 1920 par exemple,la province de Vyatsk n'en comptait qu'une dizaine. Le premier cinéma ambulant y fait son apparition en 1923 et vers 1935 la région en compte déjà 307 : 70 dans les villes et 237 dans les villages. Selon les chiffres officiels en 1936 le nombre total de cinémas ambulants est de 14 331. Le nombre de cinémas ambulants varie dans des différentes républiques et provinces. Après la Seconde Guerre Mondiale ce nombre augmente fortement. Les cinémas ambulants apparaissent partout : de Tchoukotka en passant par la Iakoutie, jusqu'à la région de Moscou. Pendant la Seconde Guerre Mondiale on utilise le cinéma ambulant pour diffuser les actualités aux troupes.

Après la guerre, l'URSS commence à produire ces cinémas d'une manière plus industrielle. Naissent des usines spécialisées comme, par exemple, l'usine des mécaniques cinématographiques de Novgorod fondée en 1965 pour la production de transport cinématographique spécialisé. D'autres usines (comme UAZ) élargissent tout simplement leur production et ajoutent le cinéma ambulant sur leur chaîne de montage.
Il apparaît aussi un cinéma ambulant spécialisé : celui pour les enfants. Le cinéma ambulant devient si commun que lui-même apparaît dans les films. Ainsi, dans le film Koroleva benzokolonki de 1962, l'un des personnages est un conducteur de cinéma ambulant qui de temps en temps montre des films à la station service.
L'histoire du cinéma ambulant type automobile commence en 1923 avec l'article de Rodtchenko. Quand le téléviseur fait son apparition dans les foyers le nombre considérablement.

Sommaire du numéro 8
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EDITO / JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°8 : CINÉMA MOBILE D'INTERVENTION
DOSSIER MAKHNO-VAN
POUR ECHELLE INCONNUE LE FILM EN QUESTION
MAKHNO-VAN
LE CINÉMA SUR ROUE D'UN PEUPLE SUR ROUE

MAKHNO-VAN L'ODYSSÉE MÉCANIQUE
LE PROJET DE RODTCHENKO
SUR LA ROUTE DU CARNIVAL
NOIRE LA RUBRIQUE
CINÉMA VOYAGEUR
LE RÉAPPRENTISSAGE DU CINÉMA-FORAIN

PEERTUBE
ÉCRAN VOYAGEUR
LA JAVA DE L'INFRASTRUCTURE
BLOUMA

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.